Madame le garde des Sceaux,

En trois mois, deux magistrats du siège, Xavier LAMEYRE, juge des libertés et de la détention à Créteil et Jean DE MAILLARD, président du tribunal correctionnel d’Orléans, se sont vu ou sont en passe de se voir retirer leur service par le président de leur juridiction, sans concertation préalable, ces décisions ayant été arrêtées avant même qu’ait été recueilli l’avis de l’assemblée générale des magistrats du siège de ces tribunaux.

Dans les deux cas, le désaccord des chefs de juridictions avec la jurisprudence adoptée par ces magistrats a été le motif déterminant, avoué ou non, de la mesure brutale dont ils ont été l’objet : le premier avait en effet été considéré, à la faveur d’articles de presse, comme trop peu enclin à incarcérer, tandis que le second a manifesté, par ses décisions, un strict attachement aux exigences d’une justice de qualité et aux droits garantis par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme.

Vous avez été interpellée sur ces situations, dont vous conviendrez avec nous qu’elles révèlent de graves atteintes à l’indépendance : des juges mutés contre leur gré en considération de leur activité juridictionnelle, voilà qui ne peut se concilier avec les principes qui régissent le droit processuel dans un Etat de droit.

Vous avez chaque fois répondu avec raison qu’il ne vous appartenait pas d’interférer dans le fonctionnement des tribunaux.

Les magistrats visés par ces décisions, de même que le Syndicat de la magistrature, entendent s’adresser au Conseil supérieur de la magistrature afin de dénoncer ces initiatives condamnables. De même, le Syndicat de la magistrature entend-il déférer au Conseil d’Etat l’ordonnance de roulement prise par le président du tribunal de Créteil.

Mais au-delà de ces nécessaires réactions immédiates, ces situations appellent aussi des évolutions rapides des dispositions du code de l’organisation judiciaire qui régissent l’organisation et le fonctionnement des juridictions afin que l’indépendance des magistrats qui les composent soit réellement garantie. Il conviendrait en particulier, comme le Syndicat de la magistrature l’a toujours affirmé, que les fonctions les plus sensibles, telles celles de juge des libertés et de la détention, de président de tribunal correctionnel ou de cour d’assises deviennent des fonctions spécialisées, de telle sorte que les magistrats qui les occupent n’aient plus à craindre d’en être évincés au motif que leurs décisions déplairaient à leur hiérarchie.

S’agissant des affectations dans les autres fonctions, elles devraient être, sur proposition de la commission restreinte, soumises à l’avis conforme de l’assemblée générale, seule procédure de nature à garantir la transparence, l’objectivité et la respiration démocratique qui font si cruellement défaut dans les processus d’affectation actuellement en vigueur au sein des juridictions.

Nous vous remercions de nous indiquer si ces questions font partie de vos préoccupations et quelles solutions vous envisagez pour remédier durablement à ces errements, à l’heure où vous consultez les organisations syndicales sur un projet de réforme du statut des magistrats.

Nous vous prions d’agréer, Madame le garde des Sceaux, l’expression de notre considération.

Pour le Syndicat de la magistrature Clarisse TARON, Présidente